Durant cette animation, Alexandre Chaillon, vigneron à Aÿ, a partagé son parcours de conversion, un long chemin inspirant, durant lequel il s’est posé de nombreuses questions :
« J’ai démarré la conversion bio de mon domaine de 11 ha en 2017, en choisissant d’étaler le démarrage de conversions de mes différentes parcelles, sur 3 ans. Ce ne sera qu’en 2022 que l’ensemble du domaine produira des raisins bio.
Je n’ai pas décidé de me lancer du jour au lendemain. Je me suis d’abord certifié HVE en 2012, puis en VDC. Pour le passage en bio, la décision s’est prise au niveau familial. Le rythme de travail en AB, cela peut aussi avoir un impact sur la famille.
On ne passe pas en bio tout seul, mais parce qu’on a croisé des bio, qui nous ont dit que ce n’était pas facile, mais que cela fonctionnait.
Je me rendu compte que je me suis engagé grâce à d’autres personnes et que j’avais un jumeau bio. On s’appelle, on se rassure quand la météo est bizarroïde ; cela fait du bien d’en parler. J’incite vraiment les gens qui souhaitent se convertir, à avoir des contacts, à échanger, demander de l’aide. L’Association des Champagnes Biologiques, c’est la concrétisation de ce besoin d’échanges. C’est rassurant de parler le même langage technique, d’avoir des réflexes communs pour savoir quand intervenir.
Bon, il faut savoir accepter de perdre aussi, de perdre en « confort de travail » si l’on peut dire. Il est indispensable d’avoir toujours un plan B en cas de pépins, investir dans du matériel de remplacement au cas où, avoir les moyens de le réparer rapidement aussi.
Et il est juste impossible d’être indisponible durant la période des traitements !
Actuellement, nous sommes 4 à pouvoir monter sur le tracteur au domaine.
Pour moi la première chose c’est l’efficacité du matériel. La deuxième, l’organisation du travail.
Discuter avec mes auditeurs (de l’organisme de contrôle) m’a beaucoup aidé également pendant ma conversion. Je suis chez OCACIA. Les auditeurs sont extrêmement professionnels, aussi tatillons que formateurs, mais jamais bêtement administratifs. Du fait de l’exigence de traçabilité de la certification, il faut être strict et enregistrer au fur et à mesure tous les éléments soumis au contrôle. La traçabilité « à moitié » ça ne fonctionne pas !
Aujourd’hui, sincèrement je regrette bien d’avoir choisi ce plan de conversion étalé sur 3 ans. On est confronté au cumul du temps champenois, et du temps de conversion. 6 ans pour produire une bouteille bio au minimum. Je piaffe d’impatience !
3 ans de conversion, on pourrait prendre cela seulement pour un moment d’adaptation pour la vigne, mais en fait, c’est une période de transition pour se mettre en phase nous-même avec tout le processus.
En vinification, cela peut être compliqué. Le cahier des charges en viticulture est plutôt simple à intégrer, cuivre, soufre, quelques tisanes et des huiles essentielles. Pour la vinification, il y a des subtilités dans le cahiers des charges, des erreurs à ne pas faire. Ces erreurs-là peuvent impacter très vite la production !
Attention, il ne faut se mettre en bio, juste pour des raisons commerciales, pour valoriser ses raisins ; ce serait prendre la question à l’envers. Je pense que ce doit être une décision philosophique, parce que c’est le moment d’y aller dans son propre parcours.
Maintenant, j’aurais vraiment du mal à revenir en arrière, même si on a à nouveau une année comme 2016, je ne pourrai pas remettre de produits conventionnels. J’ai changé de manière de voir les produits conventionnels – je les connais hélas très bien pour les avoir utilisés. Les produits que je pulvérisais il y a quelques années, étaient dits sans danger, et tout d’un coup ils sont devenus CMR !
L’état d’esprit de mon personnel a changé également, dès la récolte 2017, cette année si problématique. Dans une de mes parcelles où je faisais des essais bio depuis 2014, il n’y a pas eu besoin de faire de tri du tout, 0 tri ! Alors que le reste de la vendange tout le monde sait combien elle a été impactée par le botrytis.
Ces raisins hyper sains ont convaincu l’équipe que nos choix étaient justifiés.
Le mot « Conversion » est un mot assez adapté en fait pour décrire l’évolution de mon état d’esprit ces dernières années. « La Bio » ce n’est pas très facile à expliquer. Je dirais que mon vignoble, peu à peu, me devient plus compréhensible. Avant c’était pour moi un simple outil de production, maintenant, je le considère plus comme un membre de l’équipe. »